Conférence donnée les 7 et 8 novembre 2015 à Princeton, USA
(Princeton Harp Festival)

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 Vers une interprétation “authentique” ?


Si l’on a tous plus ou moins une vague idée de ce que peut signifier interprétation authentique, c’est à dire, grosso modo, interprétation comme à l’époque, curieusement, cette expression ne fait pas vraiment partie du vocabulaire quotidien des musiciens. Ce terme est apparu avec le renouveau de la musique baroque des années 1980 : certains musiciens se sont mis à rouvrir de vieux traités oubliés et à adopter certains tempéraments inégaux, certains luthiers à construire des copies d’instruments de musée, et on s’est mis dès lors à parler d’interprétation authentique. Mais malgré cette approche historique, ce ne sont pas les musiciens eux-mêmes qui parlaient d’interprétation authentique : le terme est né principalement dans la presse. Aujourd’hui encore, on peut parfois entendre de vieux briscards de la radio parler d’ « interprétation authentique », suivi souvent de « sur instrument d’époque ». C’est essentiellement la presse, ou en tout cas, une vieille presse, qui utilise et revendique ce terme interprétation authentique. Inutile de dire que cela ne concerne presque exclusivement la musique baroque et classique, éventuellement préromantique. Avant, pas d’interprétation authentique de la musique de Guillaume de Machaut ou de Josquin des Prez, et après, pas d’interprétation authentique de Puccini ou Webern. L’expression interprétation authentique ne concernerait-elle que la période pour laquelle on pourrait dire, en toute logique, que son interprétation pourrait ne pas être authentique ? Interprétation authentique, par la force des choses, appelle son contraire interprétation inauthentique. Voilà un terme un peu absurde, qui mérite que l’on se penche un peu sur la question.

1. Définitions, opposition Authenticité – Interprétation.

Authenticité. Quelque chose d’authentique, c’est quelque chose de vrai, quelque chose dont on peut dire avec certitude, preuves à l’appui, que c’est véritable.
Une authentique pièce archéologique, ou bien un faux.
Un tableau authentique, ou bien une copie.
Un manuscrit authentique, une sculpture authentique, etc.
Il n’y a pas de nuances dans l’authenticité : c’est authentique, ou ça ne l’est pas, point. Il n ‘y a pas plus d’authenticité absolue ou totale, que d’authenticité partielle ou relative. Ce qui est authentique peut être authentifié, c’est à dire certifié conforme, avec des preuves tangibles qui abolissent toute sorte de doute. Exactement comme les vins, qui ont leur appellation d’ origine contrôlée, il y a des certificats d’ authentification, que l’ on peut difficilement remettre en cause, et qui font office d’autorité.

Lorsque l’authentification manque de preuve, on ne parle plus d’authenticité. On parlera d’un tableau attribué à Véronèse, attribué à Rembrandt, mais pas authentifié comme étant de Véronèse ou de Rembrandt. L’attribution est la certitude de l’authenticité, mais à laquelle il manque la ou les preuves irréfutables qui écarteraient le moindre doute, aussi minime soit-il.

L’authenticité ne touche donc que ce qui peut-être prouvé, démontré, et en musique, cela concerne des domaines bien concrets : un manuscrit authentique, une édition authentique, un fac-simile authentique, un instrument authentique, c’est à dire, certifié conforme. Et de la même manière, il y a des instruments authentifiés, avec des certificats d’authentification à l’appui, et d’autres juste attribués, qui se vendent, en général, beaucoup moins cher. L’authenticité relève donc du domaine du matériel, avec la plus parfaite objectivité.

L’interprétation, au contraire, relève du domaine de l’immatériel, avec la plus grande subjectivité. L’interprétation est l’exact opposé de l’authenticité. Elle est nécessairement personnelle, solitaire, même en groupe, et ne peut en aucun cas être « vérité irréfutable »... et encore heureux.

Un médecin interprète les symptômes d’un patient pour établir son diagnostique, mais ses confrères interprètent parfois différemment ces mêmes symptômes et établissent d’autres diagnostiques, sensiblement différents.
Les interprétations des Goldberg par Glenn Gould ou Scott Ross sont radicalement différentes, voir même complètement opposées, mais sont toutes les deux aussi personnelles et subjectives, et l’on peut aimer l’une ou l’autre, ou l’une et l’autre, comme un amateur de whisky peut aimer un vieux whisky tourbé écossais sans pour autant détester un whisky japonais : en matière de goût, la vérité n’existe pas.

Il n’est pas rare d’entendre le mélomane éclairé, qui ne supporterait pas telle version parce qu’il n’en ressent pas la sensibilité, dire de cette version que c’est une succession de notes sans vie, qu’il n’y a aucune « âme », qu’elle n’est pas interprétée. Voilà un jugement particulièrement dur, sans doute l’un des pires reproches que l’on peut adresser à un musicien, mais qui veut bien dire ce qu’il veut dire : soit une pièce est interprétée, soit elle est exécutée, comme on exécute un condamné.

Authenticité, matérielle et objective, contre interprétation, immatérielle et subjective. De toute évidence, l’interprétation ne peut pas être authentique, de même que l’authenticité ne peut pas être interprétée.

Bien plus qu’une contradiction, le terme « interprétation authentique » apparaît en réalité comme un oxymore. L’oxymore est une figure de rhétorique magnifique, qui suscite l’imagination, qui fait appel aux interprétations, justement, aux nuances des sous-entendus, etc. Un soleil sombre, un cri silencieux, une triste allégresse, voilà bien des licences poétiques qui en disent parfois mille fois plus qu’une simple description terre-à-terre. Mais au regard du contexte où l’expression « interprétation authentique » est généralement utilisée, on aura bien du mal à lui trouver la moindre licence poétique...

Concert authentique. Pour autant, il y a certains cas où le langage courant est un peu plus tolérant avec cet adjectif, je pense en particulier à la musique traditionnelle. Prenons la musique péruvienne, par exemple, parce que c’est une des plus connue, mais ça pourrait être au fond n’importe quelle musique traditionnelle. Vous avez entendu toute la soirée le charango, la quatro, et puis cette flûte de pan qui se joue à deux, le rythme lancinant d’accompagnement qui hésite entre triolet et croche-deux-doubles, le tout hyper contextualisé avec les costumes traditionnels, et évidemment les musiciens eux-mêmes, que des hommes, péruviens, cela va de soi.

On dira facilement du spectacle qu’il est authentique, qu’on s’y croirait presque. C’est à dire qu’il correspond à tous les critères qu’on attend d’un concert de musique péruvienne, sans la pollution mortelle du divertissement occidental, avec ces boîtes à rythmes débiles, ces synthétiseurs affligeants et ces guitares basses obscènes qui viennent contaminer l’unicité de cette musique juste pour flatter l’oreille et le portefeuille du touriste, qui pourtant n’en demandait certainement pas tant. On dira alors que ces musiciens sont « des vrais », comme on dit d’un restaurant thaïlandais que c’est un « vrai », et pas un énième restaurant asiatique qui agrémenterait son menu d’un ou deux plats thaïlandais, mais un vrai thaï tenu par des vrais thaïlandais, avec des décors en éléphants et le portrait du roi, comme là-bas.

Il ne sera pas question d’ouvrir maintenant une parenthèse sur le rapport entre perpétuation de la tradition et origines géographiques, mais on aura compris l’aspect authentique de ce restaurant thaï, et l’aspect authentique de ce concert péruvien.
Le mot authentique est ici à prendre au sens de « typique », comme on dit d’un chalet suisse qu’il est typique du Tyrol, ou d’une ferme qu’elle est typique du Wisconsin.

Très bien! Enfin quelque chose d’authentique dans la musique vivante, la musique interprétée ! Il ne s’agit que du concert, nullement de l’interprétation, mais c’est déjà ça ! Seulement, la notion de concert est typiquement occidentale, et vous aurez là-bas beaucoup plus de chance d’apprécier la musique traditionnelle dans les rues de Cuzco lors de processions, qu’assis dans un bon fauteuil de salle de concert. Voilà de quoi relativiser un peu cet « authentique » concert péruvien : il est difficile d’authentifier ce qui n’existe pas...

De la même manière, on a déjà vu, poussés dans leurs expérimentations historiques, certains orchestre en fosse jouer des opéras de Rameau, Mozart ou Gluck en costume d’époque, éclairés à la bougie comme à l’époque, etc. Avec un certain succès, tout est fait pour que la reconstitution historique crée l’illusion de l’authenticité. Évidemment, il ne s’agit que d’illusion. Les bougies sont modernes, issues de la pétrochimie, et ne dégagent pas cette odeur de la bougie au saindoux. Les costumes des musiciens ne sont probablement pas totalement sans synthétique, les perruques ne sont peut-être pas en cheveux naturels, les maquillages sont moins toxiques qu’autrefois, mais peu importe, seule l’illusion compte. Mais ce n’est qu’un détail : pour être encore plus authentique dans l’orchestre, il ne faudrait engager aucune femme, aucun asiatique, aucun noir, aucun latinos, etc. J’espère qu’aucun orchestre n’acceptera jamais ce genre d’absurdité ! Et puis quand bien même, il y a toujours la question du public. En toutes logique, un concert 100% authentique demande aussi un public costumé, coiffé, poudré et parfumé comme à l’époque, il devra discuter et rire pendant les représentations, etc. Mais malgré tout, le public viendra en métro ou en taxi, et il aura toujours internet sur son téléphone. C’est à dire que le quotidien contemporain est seulement provisoirement mis à l’écart, mais en rien effacé. La machine à remonter le temps n’existe pas, et quand bien même, nous garderions de toute façon notre culture contemporaine. Un concert en costume et aux bougies n’est jamais qu’un tableau vivant, que l’on regarde avec nos yeux d’aujourd’hui. Il y a une nuance importante entre faire comme si on y était, et y être vraiment. Pas plus que le concert de musique traditionnelle péruvienne, le concert à la bougie et en costume n’est en rien un concert authentique. Les seuls concerts authentiques sont ceux, précisément, donnés à l’époque. Le concert reconstitué, comme son nom l’indique, n’est qu’une reconstitution.

L’interprétation, même si c’est sans doute l’aspect le plus important du concert, n’est évidemment pas la seule constituante du concert. C’est même, au fond, une toute petite partie. Tout rentre en compte : le comportement du musicien, si c’est un vieux pianiste discret et timide comme Arthur Rubinstein, ou si c’est une jeune harpiste qui respire encore plus fort qu’un Dark Vador asthmatique. Il y a aussi sa manière de se tenir bien droit sur son tabouret ou de se contorsionner autour de son violon, son entrée en scène, timide ou sportive, ses sorties de scènes et ses petites combines pour déclencher des encores, etc. Son comportement mais aussi sa tenue, sa robe de gala ou son costume trois pièces mal taillé, la qualité de son brushing, de son maquillage...

Bref, tout le comportement du musicien, chaque geste, chaque sourire, chaque regard pénétré, chaque œil mi-clos, chaque grimace, tout ceci fait aussi partie de sa prestation, et joue autant avec ou contre son interprétation.
Mais sur scène, d’autres paramètres encore entrent en considération lors du concert. Les caractéristiques de la scène, démesurément grande et impressionnante, ou petite et intimiste, son éclairage, plein feu éblouissants ou juste cadré sur le clavier, sa couleur et ses matériaux, et son acoustique évidemment. Tout ceci fait aussi partie du concert.

Et puis surtout, sans quoi on n’appellerait pas ça concert mais juste audition, il y a aussi tout ce qui se passe en dehors de la scène. C’est à dire le public. Concert, du latin concertare, se concerter, concertation, ce qui donne aussi concerto, concertation entre soliste et orchestre, et donc concert, concertation entre le musicien et le public. Sans public, pas de concert. Ça peut sembler évident, mais pourtant...

Vous avez par exemple en plein concert cette dame élégante, en plein milieu du quatrième rang, pour qui la moitié de sa rangée se lève discrètement pour la laisser partir discrètement et toussoter discrètement dans les couloirs, pour discrètement, ne déranger personne. Il y a aussi cette autre dame, tout au fond, qui quitte la salle sans que l’on sache vraiment pourquoi, avec la douceur et la volupté de claquement de ses talons sur le parquet et l’agréable grincement et claquement de porte.

Et puis, bien sûr, vous avez ce fameux téléphone qui n’en finit plus de sonner, avec son propriétaire qui fait plus de bruit en le cherchant au fond de son sac, grâce à quoi la moitié du public allume son téléphone dans les secondes qui suivent pour vérifier qu’il est bien éteint. Au deuxième appel, la rumeur autour du téléphone grandit un peu plus : son voisin s’agite ostensiblement pour exprimer sa fureur face à cet odieux scandale, son épouse ose un chuuut hyper discret, l’étudiant qui engueule les râleurs, sa copine qui commence à rigoler, etc. Et alors, à la troisième sonnerie... Ah non, pardon, c’était juste le bruit d’un pacemaker.

Bref, une très belle ambiance d’embouteillage un jour de départ en vacances. Mais, pour être un peu plus positif, vous avez aussi ce patron grisonnant qui s’oublie et agite ses mains comme s’il écoutait la radio dans sa voiture, ou parfois ce dandy qui exhibe sans aucune pudeur son enthousiasme et sa satisfaction à la limite de la pornographie... Et tout ça jusqu’au bout du concert, avec ce type qui massacre le dernier silence en gagnant au jeu du premier bravo, sans même avoir attendu la fin de la dernière note.
Le tout sur les dernières sonates de Schubert par Baremboim, qui exaspéré, montre au public entre chaque mouvement comment tousser discrètement.

Bref. Vous n’aurez pas reconnu le seul public des Philharmonies de Paris ou Berlin, mais celui de la plupart des capitales occidentales — en province, on a tendance au contraire à bien montrer que l’on est bien élevé. Tout ceci serait relativement amusant si ces quatre ou cinq personnes n’empêchaient pas toute l’assemblée de se concentrer sur le concert.

La tendance aujourd’hui dans la plupart des grandes salles est d’éclairer le public par une lumière tamisée, douce et chaleureuse. C’est là une erreur de jugement : rien ne favorise plus l’attention du public que de le plonger dans le noir. Et c’est compréhensible : l’exercice du plaisir de la musique est un plaisir tellement solitaire qu’être entouré de centaine d’inconnus a sans doute de quoi mettre à l’aise. Franchement, ces quelques personnes ne toussent presque jamais pour des raisons de santé, mais simplement parce qu’elles sont mal à l’aise, mal à l’aise parce qu’elles se savent exposées, et s’imaginent observées. Le public se regarde, empêchez le de se regarder et il regardera seulement la scène.

Quoi qu’on en dise, notre réaction au concert ne dépend pas uniquement de ce que l’on entend, mais bien de tous ces éléments, inconsciemment ou non. L’un va se faire avoir par les insupportables mouvements du jeune harpiste balançant sa harpe à vous en donner le mal de mer, tandis que l’autre n’y jugera qu’une vulgaire comédie pour habiller un manque de musicalité. Ou à l’inverse, l’un sera ému aux larmes par l’insupportable immobilité du pianiste, quand l’autre s’y ennuiera profondément.

Et c’est tant mieux ! C’est l’avantage de la musique, il y en a pour tous les goûts. Et c’est d’ailleurs cette histoire de goût qui relativise le principe même des concours : en remplaçant simplement la moitié du jury, le résultat peut déjà être sensiblement différent. Sauf dans le cas où le niveau général est tellement bas qu’un seul candidat se distinguerait, les premiers prix ne sont pas nécessairement les meilleurs, mais surtout ceux qui auront réussi à le faire croire. Voilà qui démontre une fois de plus l’absurdité du terme « interprétation authentique ». L’un perçoit un tempo idéal, l’ autre trop lent : l’ interprétation est elle-même sujette à l’ interprétation. Il y a perception de l’ interprétation, et donc d’ une certaine manière, interprétation de l’interprétation. Difficile alors de parler d’interprétation authentique si elle dépend de la perception de chacun...

2. Style et interprétation historique.

Interprétation authentique. Si ce terme est trop incohérent pour « mécaniquement » exister, qu’est-ce que l’on sous-entend alors par interprétation authentique ? Grammaticalement, interprétation authentique n’a effectivement aucun sens.
Il y a une très grande différence entre interprétation authentique, et recherche d’authenticité dans l’interprétation. À la différence de l’interprétation authentique, la recherche d’authenticité, en plus d’être tout de même plus modeste, appartient à tout à chacun. Et c’est précisément parce que l’on connaît l’impossibilité de l’interprétation authentique que l’on ne peut parler que de « recherche d’authenticité », ce qui a donné, par abus de langage, à la notion d’« authenticité relative. » La recherche d’authenticité dans l’interprétation suggère qu’il y aurait peut-être déjà une petite part d’authenticité dans l’interprétation, d’où ce terme authenticité relative, bien que l’authenticité ne puisse être relative, évidemment.

Essayons donc de passer outre ce contresens, acceptons ce que sous-entend la notion paradoxale d’« authenticité relative », et tâchons de considérer de quoi il retourne, non pas en théorie, mais dans la pratique.
Procédons en négatif, si je puis dire, et essayons de comprendre ce que serait le contraire de l’interprétation « relativement » authentique : interprétation inauthentique, à savoir, pas dans le style de l’époque.

Pas dans le style de l’époque. Et nous y voilà. Quel musicien n’a-t-il pas entendu un jour « c’est très joli mais ce n’est pas dans le style. » Je doute pourtant qu’un collègue de jury qui s’autoriserait un définitif « ce n’est pas dans le style » d’une Fantaisie de Spohr ait lu l’École de violon (Violinschule) de Spohr, il en serait d’ailleurs bien étonné. Ce genre de remarque demande souvent à être complété : « ce n’est pas dans le style... que j’imagine être celui de Spohr ». Et peut-être bien souvent « ce n’est pas dans le style... que j’ai envie d’entendre ».

Louis Spohr, Ecole ou méthode pour le violon, traduit de l’allemand par M. Heller, Paris, chez Richault p.129

Interprétation authentique, comprenez donc interprétation dans le style.
Mais jusqu’à quel point est-il possible de jouer dans le style ? Jusqu’à quel point est-il possible de faire comme si ?
Au niveau du style, faire comme si, faire comme on faisait à l’époque, ne demande pas nécessairement de jouer sur les instruments de l’époque. Faire comme à l’époque demande surtout de l’interprète qu’il prenne les interprètes de l’époque en exemple, sans tenir compte de toute l’évolution de l’interprétation.

Quelques mots, à ce stade de réflexion, à propos des notions d’évolution et de progrès.
Le mot « évolution » conserve une certaine neutralité, il ne sous-entend en rien une direction positive ou négative. Le progrès, au contraire, est une évolution positive, au contraire de la régression. Pour beaucoup, l’évolution de la musique, que ce soit au niveau de la composition, de l’interprétation, ou de la facture instrumentale, est souvent synonyme de progrès. Autrefois on ne pouvait pas faire de nuances au clavecin. Puis le piano est venu améliorer le clavecin. Autrefois Liszt était seul capable de jouer sa musique, aujourd’hui même les jeunes étudiants rentrent dans des écoles supérieures en jouant du Liszt. On a toujours l’impression d’être plus fort que dans le passé. C’est d’ailleurs pourquoi on est aussi émerveillé face à ce qui sortirait de l’ordinaire d’aujourd’hui : devant une belle mécanique de harpe, par exemple, conçue sans ordinateurs et sans électricité, juste éclairé à la chandelle. Rendez-vous compte à quel point ils étaient forts : ils ont fabriqué un tel mécanisme à la main, malgré les pauvres moyens qu’ils avaient à l’époque. Mais notre ego nous trompe : nous ne sommes absolument pas plus intelligents aujourd’hui que nos ancêtres, c’est certain. Les seuls domaines dans lesquels nous progressons sont d’ordre purement technique. La technique n’évolue pas seulement, elle progresse. Nous savons faire aujourd’hui des choses qu’il était impossible de faire dans le passé, ou du moins plus rapidement, plus économiquement, etc. Et ce dans tous les domaines techniques : l’électronique, l’aéronautique, l’automobile, le béton, les infrastructures, les communications, etc. On peut évidemment regretter que certaines techniques se perdent, et disparaissent complètement, mais c’est quasiment toujours au profit d’une autre technique sensée améliorer la précédente. Toutes ces techniques progressent, et progresseront toujours, c’est le principe de la technique. Et je parle bien de la technique en elle-même, pas de ses usages. Avant on ne maîtrisait pas le nucléaire, je ne dis pas que c’était mieux ou moins bien, mais juste que la technique a progressé jusqu’à le maîtriser, et progressera davantage pour le maîtriser encore mieux.

Le goût, au contraire, est un domaine beaucoup trop subjectif pour pouvoir parler de progrès. La technique évolue de manière objective, c’est-à-dire objectivement positive, ou objectivement négative, mais le goût évolue de manière tout à fait subjective.
Il serait un peu difficile d’imaginer jouer aujourd’hui des symphonies de Beethoven dans le même goût que celui de l’enregistrement Karajan de 1962, ou jouer Wagner avec le même goût que Fürtwangler ou Toscanini. Non pas parce que notre goût aurait progressé, mais simplement parce qu’il a évolué : le goût des années 60 n’est plus au goût du jour, mais ce ne veut pas dire que le goût d’aujourd’hui serait objectivement meilleur.

À partir de là, jouer dans le goût de l’époque semble un peu anachronique et illusoire. D’abord, on ne joue aujourd’hui que dans le goût de notre époque, comme on ne jouera demain que dans le goût de demain. Et puis, comme aujourd’hui, le goût d’une époque n’était certainement déjà pas du goût de tout le monde. Et quoi qu’il en soit, on ne pourra jamais jouer dans le goût de l’époque, mais dans ce que l’on considère aujourd’hui comme étant le goût général de l’époque, ce qui est tout de même un peu différent.

Témoignages sonores et traités.

Une remarque revient fréquemment : de toutes manières jamais les traités ne remplaceront les enregistrements, et puis d’abord on n’a pas d’enregistrement de l’époque. Voilà une remarque bien naturelle, mais qui a sans doute besoin d’être nuancée. Passons sur l’importance du témoignage des boîtes à musique, qui correspondent tout de même à des documents sonores authentiques. Il est surtout indispensable de replacer l’écriture des traités dans leur contexte. Dans la plupart des cas, avant l’enregistrement, les méthodes n’ont pas été écrites pour la postérité, en pensant à aujourd’hui, mais simplement pour promouvoir une technique, et souvent, un bon goût. Voilà pourquoi des nombreuses méthodes anciennes sont aussi complètes et précises : elles se devaient d’être aussi informatives que ce que sera plus tard pour nous l’enregistrement, sonore ou vidéo. Donc honnêtement, même la lecture d’une seule dizaine de bonnes méthodes pour la harpe en France dans les années 1780 est déjà très équivoque, et l’on peut déjà se faire une idée assez précise de ce que l’on pouvait entendre du bon goût comme du mauvais goût de l’époque.

De toutes manières, les traités ne pourront jamais décrire parfaitement comment l’on jouait vraiment. Trop de musiciens se servent encore aujourd’hui de ce genre de remarque pour justifier leur inculture, leur paresse à ne pas ouvrir les méthodes concernées, ou simplement, leur supériorité à s’estimer au-dessus de ces documents et de ne pas s’en encombrer. Il me

paraît pourtant impensable de prétendre jouer convenablement Krumpholz, Nadermann ou Bochsa sans avoir jamais consulté leurs méthodes. Aucun claveciniste sérieux ne s’autoriserait à jouer CPE Bach sans avoir jamais ouvert son Essai sur la véritable manière de jouer les instruments à clavier, aucun claveciniste sérieux ne s’autoriserait à jouer à jouer du Couperin en ignorant son Art de toucher le clavecin, c’est évident.

De toutes manières jamais les traités ne remplaceront les enregistrements. Comprenez en réalité jamais aucun livre ne pourra consigner l’âme et la sensibilité d’un musicien. D’accord, ça c’est certain. Mais les notions de bon et de mauvais goût, oui, du moins en bonne partie.

Même si une méthode ne dit pas tout, la partition elle non plus, ne prévoit pas absolument tout pour l’interprète.
Une œuvre n’est jamais dissociable de son contexte, et la notation musicale n’est jamais réellement universelle. Je veux dire par là que la notation a largement évoluée. Rameau ne notait pas sa musique comme plus tard Ravel ou Ligeti. L’articulation, le mouvement, les dynamiques... toutes ces indications d’interprétation et d’expressions n’ont rien à voir. Ce n’est pas seulement qu’une question d’époque : même les indications d’expression chez Mahler sont très différentes de celles de Debussy, alors qu’ils ne sont nés qu’à deux ans près. Chaque compositeur a ses propres priorités d’interprétation. Mahler anticipe souvent les futurs excès de ses interprètes par des indications « négatives » (pas trop vite, pas trop lent, pas trop fort...), tandis que Debussy se limite généralement à l’essentiel.

À partir de quand le respect des indications d’expressions ressort-il ou non du respect du texte ? Par exemple l’Impromptu de Fauré. L’indication de mouvement est assez détaillée, allegro molto moderato, noire à 76.

Malgré cette indication très précise, de nombreux harpistes jouent encore aujourd’hui ce début plus rapidement que ce qu’exige Fauré. Et lorsque vous discutez avec les harpistes, ils vous répondent souvent que le tempo indiqué par Fauré est simplement trop lent. La faute à Fauré.

D’une certaine manière, le compositeur, lorsqu’il écrit des indications d’expressions, se place un peu plus en position d’interprète que de compositeur. Plus que d’indiquer comment jouer sa musique, il indique comment il voudrait l’entendre, il indique comment il la jouerait s’il devait la jouer. Bien souvent les indications d’expressions restent des indications d’interprète, et pas seulement de compositeur. Un musicien étant toujours libre d’interpréter à sa convenance selon son goût, il peut parfois estimer légitime de ne se sentir aucune obligation à suivre à la lettre les indications d’expression demandées par le compositeur, puisque le compositeur lui-même s’est placé comme interprète de sa partition... On n’est pas là pour en juger, mais il est dans ce cas difficile de se réclamer d’une prétendue authenticité, ou même seulement, de fidélité à la partition.

Tradition

Pour en revenir à l’Impromptu de Fauré, il est en réalité surtout question de tradition : c’est la tradition qui fait que tout le monde joue ce début seulement allegro et pas allegro molto moderato, à un tempo métronomique supérieur à celui indiqué par Fauré. Or il n’y a pas pire ennemi de l’évolution du goût que la tradition. La tradition fige un goût particulier dans le temps, en empêchant toute possibilité d’évolution. Lorsque cet ancien goût arrive en contradiction avec un goût plus actuel, il est nécessaire de rompre avec la tradition — ce qui n’est pas toujours très apprécié d’ailleurs, en particulier dans les concours, mais c’est encore un autre problème.

La tradition, en musique, est très pratique : elle permet d’éviter de réfléchir. On fait tel coup d’archet, parce que la tradition le fait depuis toujours. On va plus vite, parce que depuis toujours tout le monde va plus vite. On remplace une nuance par son contraire, simplement parce que la tradition le fait depuis toujours. On ne fait que la première reprise et pas la seconde, parce que la tradition l’autorise depuis longtemps. La tradition l’autorise, et au fond, on préfère souvent assumer l’héritage d’une tradition, parfois même avec fierté d’ailleurs, plutôt que d’assumer seulement les exigences de la partition. Je ne dis pas qu’il faut lutter systématiquement contre toute forme de tradition, car après tout il y a probablement des choses à prendre, mais il est nécessaire de se positionner vis à vis de la tradition, c’est à dire d’évaluer si le goût qu’elle véhicule nous semble toujours de mise ou non. Mais on est en fait souvent inconsciemment conditionnés par la tradition, ce qui explique pourquoi rompre avec la tradition demande une certaine capacité de doute et de remise en cause : bien souvent, seule la tradition justifie l’injustifiable.

Volonté du compositeur

De là se pose la question du respect du texte, et de la volonté du compositeur.
La volonté du compositeur est souvent érigée en principe sacro-saint auquel il est impossible de déroger si l’on se veut un minimum « authentique ». Il est nécessaire toutefois de souligner quelques nuances avec cette fameuse « volonté du compositeur ».
Deux exemples, opposés. Le premier, l’enregistrement du Sacre du Printemps par Stravinsky lui-même à la baguette en 1929. Très éloigné des tempi de la partition, Stravinsky particulièrement fier de lui, prenait pourtant son enregistrement comme référence au point d’exiger que chaque futur interprète le prenne en modèle. Heureusement, si tout le monde a raison de s’en inspirer, personne n’obéit vraiment à cette exigence : je crois pouvoir dire sans trop me tromper que Stravinsky était tout de même moins bon chef d’orchestre que compositeur. Deuxième exemple, a contrario, l’enregistrement en 1928 du quatuor de Ravel par le quatuor Capet, que Ravel lui-même tenait pour référence, bien qu’il ne s’agisse que d’une anecdote rapportée. Aujourd’hui encore, s’il est difficile de ne pas être séduit par la finesse et l’élégance de cette version du quatuor Capet, il ne viendrait pourtant à l’idée de personne de jouer avec le style du quatuor Capet : aussi magnifique soit-il, il n’est plus au goût du jour.
Bon, mais admettons que ces deux exemples ne soient que des exceptions. La volonté du compositeur n’est pas une chose figée dans le temps. Il suffit d’écouter les deux enregistrements de Fritz Kreisler de son Liebeslied de 1930 et 1942 pour se rendre compte que sa propre volonté évolue au fil des années, comme pour tous les interprètes.
L’exemple est encore plus frappant avec les cinq enregistrements du Marteau sans Maître dirigé par Boulez lui-même : en 1956 avec l’équipe de la création, la chanteuse Marie- Thérèse Cahn et le Domaine Musical, en 1964 avec Jeanne Deroubaix, en 1973 avec Yvonne Minton, en 1985 avec Elizabeth Laurence, et en 2002 avec Hilary Summers. Sur ces cinq versions du Marteaux sans maître, enregistrées en moyenne à dix ans d’écart, l’interprétation de Boulez a largement évoluée. Quelle interprétation alors serait la plus authentique, la première ou la dernière en date ? L’authenticité exigerait-elle de ne jouer que selon la première volonté du compositeur, à l’année de composition ? Voilà qui serait bien restrictif, ou en tout cas, anti-musical et pour le moins néfaste, en ce sens que cela constituerait à renier toute forme d’évolution de l’interprétation, même par le compositeur en question.
Se borner à respecter coûte que coûte la volonté du compositeur ne fait aucun sens. Dès qu’il a tracé la double barre finale, sa partition ne lui appartient déjà plus. En revanche, il s’agit sans doute de ne pas trop aller à l’encontre de sa volonté, ou plutôt, là encore, ce que l’on

imagine être la volonté du compositeur. Et encore, il ne s’agit même pas de respecter la volonté du compositeur, mais seulement son intention. En un mot, la volonté du compositeur est largement moins importante que la volonté de la partition. La volonté de la partition dépasse les siècles, la volonté du compositeur ne dépasse pas l’année...

L’interprétation des transcriptions

La question du style se complique peut-être davantage encore à propos des transcriptions. Comment interpréter Bach transcrit par Liszt ou Busoni, comment interpréter Haendel transcrit par Grandjany ? Peut-on s’autoriser l’ajout d’ornements, peut-on supprimer toutes ces octaves à la basse ? En toute logique, évidemment, quitte à jouer Busoni ou Grandjany, autant assumer l’anachronisme jusqu’au bout, sinon autant jouer les partitions originales ou réaliser sa propre transcription.

L’interprète est un intermédiaire entre le compositeur et l’auditeur. Le simple interprète, en soi, n’est pas vraiment « créateur » : son rôle consiste simplement à diffuser l’œuvre d’un créateur. Même avec la plus grande créativité, il n’est pas pour autant créateur, il ne compose pas la partition. L’interprète est créatif, pas créateur. Or le compositeur peut lui aussi interpréter la musique des autres : il peut s’approprier une partition, la transformer au point de lui modifier profondément son esthétique pour lui apposer la sienne, comme c’est le cas avec ces transcriptions de Busoni ou de Reger, les paraphrases de Liszt, ou plus récemment, les transcriptions de Gérard Pesson ou de Johannes Schöllhorn.

Le cas de l’orchestration ressort de la même logique. L’orchestration par Caplet du Martyr de Saint Sébastien aurait pu être signée par Debussy lui-même, ou l’orchestration de Felix Mottl des Wesendonck Lieder signée par Wagner lui-même. Il s’agit plus d’une restitution que d’une véritable transcription. En revanche, la transcription pour petit ensemble du Voyage d’hiver de Schubert par Hans Zender s’éloigne considérablement du piano de Schubert. Il s’agit d’un regard nouveau, et Zender apparaît comme créateur. Ne confondons donc pas orchestration et transcription pour orchestre. Il est bien évident qu’un compositeur ne transcrit pas pour améliorer, mais bien pour proposer sa propre perception, sa propre interprétation de la partition qui l’intéresse. Si le compositeur couche sur papier son interprétation de la musique des autres, alors il va de soit que l’interprète doit interpréter la perception de ce compositeur, il doit en quelque sorte interpréter cette interprétation.

Partitions.

L’arrangement, la révision et l’adaptation, sont d’autres cas où la partition est réécrite, mais ne font pas pour autant figure de transcription : ce n’est pas parce qu’une partition est modifiée que l’on peut automatiquement la qualifier de transcription.
Bien souvent, l’arrangement consiste seulement à simplifier une partition pour la rendre accessible aux musiciens les moins expérimentés. Mais il existe aussi nombreux cas où la partition est modifiée pour des raisons instrumentales, sans pour autant changer ni l’esprit ni l’esthétique de la pièce. La guitare par exemple ne permet pas de jouer les notes les plus graves d’une partition pour le luth, le guitariste va donc arranger, aménager la partition pour qu’elle lui soit jouable, vraisemblablement en transposant. L’organiste, avec ses nombreuses combinaisons, peut souligner une voix grâce à la registration. S’il ajoute le jeu de 16 pieds, la hauteur ne sera pas seulement celle indiquée sur la partition, mais doublée à l’octave inférieure. Il s’agit donc de couleur, de timbre, de clarté musicale. De fait, la transposition du guitariste n’est pas nécessairement « inauthentique », surtout si elle renforce la compréhension musicale au lieu de la mettre en péril, si par exemple sur son instrument une voix apparaissait plus claire et plus propre dans un registre adapté.

En revanche, tout le monde a déjà mis sur son pupitre une édition révisée de partition baroque ou classique avec des indications de nuances, d’accentuation, de doigtés, ou de tempo métronomique plus ou moins précis, indications qui sont parfois très anachroniques. Évidemment, chacun sait que ces indications n’ont pas toutes été signées de la main des auteurs eux-mêmes. Il y a peu de temps encore, les éditeurs préféraient ajouter le nom d’interprètes ultra connus aux côtés de ceux des compositeurs, et parfois même en caractère plus gros sur la couverture. Souvenez-vous, on parlait alors d’éditions révisées par telle ou telle star, comme si Bach ou Mozart avaient besoin d’être révisés. Et puis progressivement, on a retiré le terme « révisé », pour ne conserver que le terme « édité par ... telle ou telle vedette». Parce qu’effectivement, ce n’est pas l’œuvre en soi qui était révisée, mais, simplement, l’édition. À la décharge de l’éditeur, ce n’était pas seulement pour des raisons commerciales, comme on le voit souvent sur le marché du disque, mais dans bien des cas, de bonne foi, dans le soucis d’établir ce qu’ils pensaient sincèrement représenter une bonne édition, puisque basée sur l’expérience des meilleurs interprètes de leur temps. Si une star comme Jean-Pierre à Rampal a révisé les fantaisies de Telemann, ou une autre star comme Yehudi Menhuhin les sonates et partitas de Bach, ce n’était pas pour améliorer l’écriture

même de ces œuvres, non, mais plutôt l’interprétation de ces œuvres — ce qui a d’ailleurs contribué à les rendre encore plus star, et même, à l’origine d’une tradition. Tout ce que nous appelions « révisions » ne sont pas, à proprement parler, des transcriptions, même si les partitions sont parfois très éloignées de leurs originaux. En un sens, il s’agit presque de « mise à jour », ou plutôt, de « mise au goût du jour ». On imagine facilement qu’un compositeur ne soit pas forcément très heureux d’apprendre qu’un interprète, fusse-t-il le plus connu de la planète, se permette de retoucher son œuvre pour imposer sa manière de jouer.

Contrairement à l’édition révisée, l’adaptation est peut-être ce qui modifie le moins la partition, du moins en théorie. J’entends par adaptation le simple fait de changer l’instrumentation, en prenant soin de rajouter certaines indications qui permettront de réaliser cette adaptation sur ce nouvel instrument — et seul l’ajout de ces indications permet de parler d’adaptation. Si je vois une partition pour piano avec l’indication « adaptation pour la harpe », je m’attends en principe à trouver une partition originale, sans aucune modification de la musique, sans le moindre changement de note, de rythme, ou de nuance, mais seulement avec l’ajout d’indications de pédales, de doigtés, ou encore de signes d’étouffés par exemple, qui rendront cette partition d’une part réalisable à la harpe, mais aussi, relativement fidèle à l’original. La musique n’est pas modifiée en soit, et tout ce qui est écrit dans l’original est conservé. Seul le changement d’instrument génère l’ajout d’indications d’ordre purement instrumental. Ce n’est donc pas la partition qui est modifiée, mais sa technicité, en quelque sorte son « manuel d’ utilisation ». C’ est d’ ailleurs pourquoi on ne devrait pas dire « adaptation pour la harpe », mais « adaptation pour les harpistes ».

Seulement, si l’adaptation autorise l’ajout d’indications instrumentales, elle doit de la même manière gérer le devenir des indications instrumentales d’origine, elle doit transcrire ces indications techniques, comme des indications de pédale una corda ou de résonance, pour le cas du piano. Car certaines indications de pédale de résonance ne sont pas en effet aussi anodines, ou du moins, ne sont pas systématiquement de simples indications d’interprétation. D’abord, elles ne vont pas forcément de soi, et puis surtout, elle peuvent parfois apparaître comme véritables composantes compositionnelles. Je pense en particulier à certaines sonates de Haydn ou Beethoven, où la pédale de résonance est utilisée comme une sorte d’« effet spécial », qui ne va pas de soi comme chez Liszt ou Debussy, par exemple. C’est-à-dire que ces indications de pédale de résonances font vraiment partie intégrante de la composition, et dépassent largement la simple indication d’expression. Si elle ne modifie pas directement les notes, les registres, les rythmes, ou les tempi, l’adaptation, peut donc tout de même, dans une

certaine limite, dépasser la seule technicité instrumentale, le seul « mode d’emploi », et c’est ici un tout petit plus qu’un simple changement de tableau de bord, si je puis dire. Ainsi, en abandonnant certaines propriétés instrumentales au profit d’autres propriétés, l’adaptation apparaît déjà, au fond, comme la première étape de la transcription.

La partition la plus « authentique », ou en tout cas, la plus fidèle, reste donc certainement l’édition présentée comme urtext, ce qui signifie en allemand « texte original ». Pourtant, là encore, le label urtext demande souvent une certaine vigilance : même les très sérieuses éditions Henle Verlag appose un urtext sur les partitions de partitas de Bach ou les sonates de Beethoven ou Schubert... en rajoutant des doigtés ! Le label urtext est donc parfois trompeur, et les partitions les plus fidèles reste encore les fac-simile de manuscrits, les premières éditions, ou les partitions supervisées par le compositeur. Voilà pourquoi j’ai en général beaucoup plus confiance aux éditions critiques, soutenues par de vraies recherches musicologiques, comme chez Bärenreiter par exemple, plutôt qu’ aux simples éditions prétendument urtext.

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2. Instruments historiques

Quel terme employer lorsqu’un pianiste ou un harpiste joue fidèlement une édition originale pour le clavecin, sans rien modifier d’autre que l’instrument ? Le pianiste peut assurément jouer la musique pour clavecin de Bach sans avoir à recourir aux transcriptions, adaptations, révisions ou arrangements. Il joue simplement la version originale. Peut-être ses doigtés seront différents de ceux des clavecinistes, peut-être utilisera-t-il la pédale de résonance, mais au final, la partition jouée sera stricto senso la même. Pour qu’une partition soit vraiment restituée telle quelle, doit-elle être jouée impérativement sur l’instrument pour lequel elle est écrite ? Après tout, l’instrumentation est un élément essentiel de la partition, au même type que les notes, le rythme, l’ ornementation. Modifier l’ instrumentation éloigne déjà de l’authenticité. Selon ce principe, jouer une sonate de Haydn sur piano moderne est aussi « inauthentique » que de la jouer à la harpe. La frontière historique est difficile à établir, et si l’on considère inauthentique de jouer Haydn sur piano moderne, alors on devrait aussi

considérer comme inauthentique de jouer Ravel sur un piano moderne, déjà bien différent des pianos Erard que Ravel affectionnait tant. Le timbre d’un Steinway moderne n’a strictement rien en commun avec un petit Broadwood de l’époque de Haydn, alors que la harpe s’en rapproche sans doute un peu davantage. Jouer Haydn à la harpe serait donc plus fidèle que sur Steinway moderne ? Autre exemple, plus provocateur. Les harpes modernes ne sont plus équipées de la huitième pédale, la pédale de renforcement, ces volets mobiles dans la caisse de résonance, à la manière de la boite d’expressive de l’orgue qui s’ouvrent ou se referment devant les tuyaux. L’op.16 de Krumpholtz, avec toutes les indications de pédale de renforcement, serait-il aujourd’hui plus authentique à l’orgue qu’à la harpe moderne ? Ces deux questions n’ont, en réalité, pas beaucoup de sens, mais souligne bien l’importance des instruments. La question des instruments est en effet souvent cruciale pour qui est en recherche d’authenticité dans l’interprétation.

Quelques secondes sont nécessaires pour préciser certains éléments de vocabulaire, pour éviter des confusions importantes sur les différents types d’instruments historiques.
D’abord, instrument d’époque. C’est l’instrument qui correspond « à peu près » à l’époque de composition. Je dis à peu près, car généralement, les musiciens n’ont pas toujours les moyens d’être à ce point puristes qu’ils refuseraient ce terme à quelques années près : après tout, en 1730 on jouait encore les instruments de 1720. Paradoxalement, on utilise aussi ce terme à propos de copie. Je pense à certaines flûtes ou clarinettes, qui peuvent être appelés instruments d’époque, alors qu’elles sont neuves. Ce sont des copies d’instruments d’époque, donc autant dire instrument d’époque directement.

Instrument ancien. Le terme est très général, et prête à confusion. On comprend en effet que c’est un instrument âgé, bien sûr, mais surtout que c’est un instrument de système ancien. Les flûtes de système Meyer, de système ancien donc, contre le système Boehm, ou les harpes simple mouvement à crochets, de système ancien, contre celles à double mouvement à fourchettes, etc.

D’où, par conséquent, une autre confusion, entre instruments modernes et récents. L’instrument récent, c’est simplement un instrument fabriqué récemment, rien de plus. Mais l’instrument moderne, c’est aussi l’instrument de système moderne, par opposition à l’ancien système. Ainsi, une harpe Wurlitzer des années 1920 est une harpe moderne, bien qu’ancienne, alors qu’une harpe Erard des années 1960 est une harpe ancienne, c’est à dire de système ancien (table droite, mécanique extérieure, etc), et pourtant bien plus récente que la Wurlitzer moderne plus ancienne.

Pour résumer, il peut donc y avoir des instruments modernes assez anciens, et des instruments anciens assez récents. Je le reconnais, il y a de quoi y perdre son latin !

Les instruments historiques dont parlent les journalistes à propos d’interprétation authentique ne concernent en général pas seulement les instruments d’ époque, mais surtout, les instruments anciens, de l’ancien système.
Car s’il y a bien aujourd’hui quelques tentatives de jouer un répertoire écrit pour nos instruments modernes sur instrument d’époque, comme pour certains Debussy ou Stravinsky, la question des instruments d’époque se pose surtout sur les systèmes antérieurs aux systèmes modernes : les cors naturels, les flûtes à une clé, les pianoforte, les harpes simple mouvement, ou même les harpes Erard table droite.

Chaque instrument, ou chaque famille d’instrument, à un rapport différent avec leur ancien système. Pour les instruments à archet, il s’agit davantage de leurs cordes (boyau ou métal) et de leur archet (baroque, classique, etc), plutôt que l’instrument en lui même : la plupart des Stradivarius, Garnierius et autres violons de Crémone sont pour la plupart tous cordés en moderne. Pour les percussions, cela concerne surtout les timbales, baroques ou modernes, peaux animales ou synthétiques : c’est une famille d’instrument trop récemment intégrée à l’orchestre pour être confronté à ce genre de situation. Quant à l’orgue, la question se pose encore complètement différemment, comme aussi pour les chanteurs, sur un autre registre.

Les militants des instruments d’époque ne sont pas forcément aussi puristes que l’on croit, mais au contraire, souvent flexibles, et parfois à l’excès. On voit souvent par exemple la Fantastique de Berlioz jouée avec 4 ou 6 harpes Erard... du XXème siècle en lieu et place des harpes Erard de 1830 ! Évidemment, cella n’a strictement aucune cohérence historique, mais peu importe, après tout, trouver autant de harpes Erard de 1830 en bon état de marche, c’est tout de même un peu plus difficile que d’en trouver des plus récentes, alors du moment qu’il y a le logo Erard, et que ça ne ressemble pas trop à une harpe moderne...

Si chaque instrumentiste pensait et agissait en ces termes, évidemment il n’ y aurait strictement rien d’historique et d’authentique à jouer sur ces instruments prétendument d’époque. Le résultat sera peut-être convaincant, après tout on peut toujours faire confiance aux musiciens pour choisir le son qu’ils ont envie de faire entendre, mais ça supprime le label « instrument d’époque », et donc, priverait le journaliste de sa fameuse interprétation authentique.

La question ne se pose que vis-à-vis de ces instruments, et pas des plus anciens.
On ne dira jamais d’un luthiste ou d’un violiste « interprétation authentique sur instrument historiques », simplement parce que le luth et la viole sont eux-mêmes des instruments historiques. Je veux dire qu’à la différence des pianoforte, qui ont progressivement évolué jusqu’au piano moderne, le luth et la viole ne se sont pas modernisé, ils se sont, disons, endormi. L’utilisation du terme instrument d’époque ne concerne donc que des instruments qui sont restés en activité. Pour tous les autres, que ce soit des instruments endormis, ou des instruments modernes, on ne précise rien du tout, cela va de soi. Seule exception, justement, le clavecin. La norme veut qu’un clavecin soit, cela va de soi, historique, ou copie. Dans le cas contraire, on prend bien soin de préciser alors que c’est un clavecin moderne, celui de Pleyel, pour le concerto de Falla, ou les pièces de Ligeti ou Xenakis. Disons que le clavecin était simplement endormi et que l’on a réveillé pour le remettre au goût de jour de la facture instrumentale, comme d’ailleurs pourraient l’être tous les autres instruments, potentiellement.

D’un point de vue artistique, il n’y a, dans le choix de l’instrument, vraiment bien peu d’intérêt à s’appuyer sur les seules raisons historiques. Ce n’est pas le prétexte historique qui anime l’interprète pour choisir son instrument : c’est avant tout le résultat sonore.

Pour l’anecdote, je joue souvent les dernières sonates de Beethoven à la harpe, en particulier l’op.111. Il y a longtemps que je cherchais l’instrument idéal pour ces sonates, et je crois en avoir trouvé un qui pour l’instant, me donne assez satisfaction. Il s’agit d’une harpe double mouvement de John Egan, sur laquelle cet op.111 sonne exactement avec toutes les qualités que j’ai envie d’entendre. Quelques mois après cette acquisition, j’ai découvert que cette harpe Egan a été précisément fabriquée en 1822, c’est à dire exactement la même année que celle de la composition de l’op.111 ! Je savais que c’était à peu près de la même période, mais je vous jure que c’est là vraiment une parfaite coïncidence. L’anecdote est amusante, et pourrait certainement faire un très bon argument de vente, mais en réalité, ça n’a que bien peu d’intérêt pour ce qui concerne son approche non pas historique, mais « authentique ». Beethoven n’a probablement jamais croisé de harpe Egan, et quand bien même, il n’avait pas d’autre timbre en tête que celui des anciennes harpes à simple mouvement avant de devenir sourd, vingt ans plus tôt. Les harpes que Beethoven a pu rencontrer sont donc probablement les harpes Franz Brunner à Vienne, celles de son ami Johann Andreas Stumpff, son éditeur de Londres, et probablement quelques Erard, et encore. Qu’y aurait-il donc d’authentique à jouer

ces dernières sonates sur une harpe dont Beethoven et le public viennois n’ont jamais entendu ni le son, ni probablement même le nom ? Rien, si ce n’est la seule concordance de date.

Autre exemple, a contrario. Toujours dans ma collection, j’ai en ma possession la harpe Erard n° 3681, une harpe de style gothique, palissandre, dans un état assez moyen, qui serait franchement très ordinaire si elle n’avait pas appartenu à la plus grande harpiste de toute l’histoire de la harpe, Henriette Renié, de 1911 à sa mort. Je crois même pouvoir dire que selon les registres Erard, c’est une des harpes que Renié jouait le plus souvent, c’est surtout celle-ci qui faisait l’objet de soins les plus fréquents aux l’ateliers Erard : réglages, réparations et emballages en tous genres, tous consignés dans les registres.

Jouer du Renié sur la harpe personnelle de Renié, sans doute sa préférée, sous-entend-il pour autant une interprétation authentique? Assurément non, et ce serait d’ailleurs contre productif, et de toute manière impossible, que d’essayer de jouer exactement pareil que Renié. Est-ce que Yehudi Menuhin cherchait à jouer exactement pareil que Paganini lorsqu’il jouait sur son Stradivarius, le Milanollo de 1728 ? Parce tout de même, avant Paganini, ce violon avait été joué par JS. Bach lui-même, Leclerc, et Viotti... Jouer du Bach ou du Paganini sur ce violon n’a rien d’authentique : conserver sa propre personnalité musicale en jouant sur le piano de Liszt ou de Ravel, ou la harpe de Renié ne peut pas en soi, être authentique.

Il n’y a donc aucun intérêt artistique à aller à l’encontre de sa propre personnalité musicale pour tenter un semblant d’authenticité, et il n’y a pas plus d’intérêt authentique à conserver sa propre personnalité musicale en jouant sur le piano de Liszt ou de Ravel, ou sur la harpe de Renié.

Où est donc, à travers ces deux exemples, l’authenticité dans le choix de ces instruments ? Nulle part. Justifier l’utilisation d’instrument d’époque par la seule approche historique et authentique ne représente, en soi, aucun critère artistique. Les musiciens sont avant tout des artistes, pas des archéologues. C’est bien le son que les musiciens produisent, pas un exposé d’histoire-géo. Ce qui compte, c’est le son d’un instrument, cent fois plus que son histoire, qui reste du domaine de l’anécdotique.

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3. Intérêt ou non de rechercher l’authenticité.

Après les deux grands axes de cette conférence, le style et l’instrument, se pose légitimement l’intérêt de la recherche d’authenticité dans l’interprétation. Pourquoi nécessairement chercher à jouer « dans le style » ? Après tout, puisque le style, le goût ont évolué, puisque notre goût d’aujourd’hui n’est plus le même que celui d’autrefois, pourquoi alors nous efforcer de jouer comme autrefois, ou du moins comme on imagine que l’on jouait autrefois ?

Si une partition est jouée dans le goût de son époque, et dans le meilleur des cas, dans le meilleur goût de son époque, il est important de rappeler qu’elle est aussi composée selon le goût et les critères de son époque. Le goût et le style ne se limitent pas seulement à l’interprétation, ils concernent aussi la composition. Et naturellement, une époque n’a pas qu’un seul goût : Verdi a composé son Falstaff en même temps que Massenet Thaïs et Puccini Manon Lescaut, mais aussi Mahler sa Résurrection, Brahms son quintette avec clarinette, Rachmaninoff son premier concerto de piano, Scriabine sa première sonate, et Debussy son Prélude à l’après-midi d’un faune, en même temps, donc, que Verdi son Falstaff de Verdi. Que de styles différents, n’est-ce pas !

Les quatre derniers lieder de Strauss sont composés la même année que la deuxième sonate de Boulez, en 1948. Le fameux « goût de l’époque », ou les goûts de l’époque, sont beaucoup trop larges pour vouloir dire grand chose : jouer Boulez dans le goût de Strauss, et Strauss dans le goût de Boulez n’aurait évidemment aucun sens, tant ces deux esthétiques sont éloignées. Mais aussi différentes soient-elles, ces deux œuvres, en 1948, ont été composées avec les préoccupations de 1948 d’un grand-père de 84 ans, Richard Strauss, et celles d’un jeune homme de 23 ans, Pierre Boulez. Bien plus que le ou les « goûts de l’époque », il me semble indispensable pour un interprète de connaître ces préoccupations, même partiellement. Ce n’est pas tant la manière dont une œuvre est interprétée à l’époque qui compte, mais la manière dont elle est pensée, dont elle est composée. Voilà pourquoi je n’imagine pas jouer correctement une œuvre sans rien n’y comprendre. Je n’imagine pas possible de diriger convenablement une partition de Grisey sans en comprendre son harmonie spectrale, je n’imagine pas possible jouer une forme-sonate de Haydn sans en comprendre les finesses de sa dramaturgie, et je n’imagine pas jouer une fugue de Bach sans en comprendre la progression contrapuntique.

Pour autant, la compréhension de la partition n’est qu’un préalable : elle doit avant tout être intégrée, assimilée, pour pouvoir soutenir la spontanéité de l’interprétation. Lorsque vous jouez une fugue de Bach, vous ne vous dites pas « j’arrive à la mesure du nombre d’or, je dois

faire ressortir les premières strettes sur le renversement du contre-sujet ». Non, vous le faites consciemment, mais sans y réfléchir sur le coup, parce que vous y avez déjà réfléchi en amont, et vous l’avez déjà intégré. Honnêtement, vous vous préoccupez davantage de mettre vos doigts à la bonne place, de les jouer dans le bon ordre, et de leur donner toute l’expression que vous voulez y mettre.

De même que le commentaire de texte n’est pas la poésie, l’analyse n’est pas la musique. La musicologie doit être toujours au service de la musique et pas l’inverse, voilà pourquoi les plus grands musicologues sont toujours ceux qui ne perdent pas de vue que leurs travaux se destinent avant tout aux musiciens, avec des préoccupations musicales, plus que musicologiques.

La compréhension d’une partition, qui se passe nécessairement par une analyse approfondie, est toujours un préalable fondamental à une bonne interprétation : l’interprète ne partage pas seulement toute la charge expressive d’une partition, il en partage également sa compréhension. Et naturellement, la compréhension d’une partition ne peut avoir lieu sans la compréhension du style de la partition, et du résultat sonore par l’instrument pour lequel elle est destinée. Sans pour autant jouer aux archéologues, adopter un style trop différent de celui de la partition comprend toujours le risque, non pas forcément de la trahir ou de la dénaturer, mais simplement de lui faire perdre substantiellement de sa richesse.

Voilà pourquoi le concept d’interprétation authentique ne présente, en tant que tel, que bien peu d’intérêt. Au contraire, l’interprétation renseignée, informée, et intégrée, autant sur le point de vue historique, stylistique, que compositionnel, est un des points de départ d’une interprétation intelligente, qui par ailleurs se fiche bien de récréer une prétendue et illusoire authenticité.

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Enfin, et ce sera les dernières phrases en guise de conclusion, je voudrais évoquer un autre aspect, un autre sens à l’interprétation authentique que celui communément admis, qui a fait l’objet de cette conférence. Car qui dit « interprétation authentique » dit aussi « interprète authentique ». La clé de l’interprétation authentique se situe en effet sans doute du côté de l’interprète. L’interprète authentique, drôle de concept, est par définition un interprète véritable, une personne que l’on peut authentifier comme véritablement interprète. C’est à

dire, un musicien au seul service de la musique, au seul service du partage de la musique. Un interprète authentique est celui qui refuse d’ajouter à son interprétation autre chose que la seule musique, comme les jeux de scène, les effets de lumières, son attitude séductrice, et tout ce qui déclanche les acclamations ou les huées, mais qui a plus à voir avec le spectacle qu’avec la musique. L’interprète authentique se met au service de la musique, et ne met pas la musique à son service. C’est seulement là, il me semble, que l’on peut trouver une certaine forme d’authenticité dans une interprétation.